Philippe Couderc de la Feppia : « Pour des États généraux de la musique »

Tribune publiée sur electronlibre.info par Philippe Couderc, Directeur du label Vicious Circle et Président de la Feppia.

Il était temps d’ouvrir le débat du streaming. Une fois de plus, les acteurs “majeurs” de la filière nous montrent leur incapacité à prendre les bonnes décisions en se préoccupant plus de sauvegarder leur cash-flow et leurs partenariats économiques.

Lorsque nous avons écrit le texte ”Hadopi : la création sacrifiée”, il y a deux ans, en mai 2009, nous y dénoncions son effet pervers numéro un : la dévalorisation de la musique. A l’époque, en plein débat houleux sur le vote de la Loi Hadopi, notre texte avait été regardé de travers, pris comme une attaque primitive contre les majors, contre LA solution au piratage, contre LE progrès numérique, ce qu’il n’était évidemment pas.

Qui sommes-nous ? Avant tout, des passionnés de musique. Les labels indépendants sont pour leur immense majorité des petites structures, TPE ou associations, qui produisent très essentiellement les premières œuvres de jeunes artistes, dans tous les styles musicaux, dans toutes les esthétiques : du jazz contemporain à la pop, de la chanson à la techno hardcore, du classique à la musique world, etc. Nous accompagnons ces artistes, nous les aidons à se professionnaliser, nous diffusons leur musique, nous leur permettons de jouer en public.

Qu’on ne s’y méprenne, ce travail-là ne s’improvise pas, il est le résultat d’un savoir-faire et d’une passion que nous essayons de mener au bout. Bon nombre d’artistes aujourd’hui reconnus ont fait leurs premiers pas sur des labels comme les nôtres. Avec plus de 3 000 productions par an, les labels indépendants sont l’oxygène de la diversité culturelle ; c’était vrai hier, cela l’est encore plus aujourd’hui mais pour combien de temps encore ? Car, quoiqu’on en dise, il est bien plus facile d’enregistrer sa musique que de la faire écouter. Les artistes qui y parviennent seuls se comptent sur les doigts d’une main ! Ceci étant dit, où en sommes-nous aujourd’hui ?
La dévalorisation de la musique se poursuit.

Après avoir adoubé les sites de streaming, les mêmes constatent aujourd’hui :
– que la monétisation n’est pas assez forte,
– que le téléchargement n’est toujours pas prépondérant : moins de 20% d’un marché en baisse dramatique depuis des années.

De plus :

la Carte Musique ne semble pas recueillir le succès escompté.
– l’Hadopi peine à inverser la situation.
– L’observatoire de la musique, en octobre 2010, montrait l’extrême concentration du secteur numérique aux mains de quelques-uns ! Et désignait les premières victimes : les labels indépendants.
– Le physique, qui représente toujours et encore 80% du marché est toujours laissé à l’abandon ! Les chaînes l’ont relégué au rang de vieillerie (en réduisant comme peau de chagrin les linéaires), ce qu’il n’est manifestement toujours pas ! Et les disquaires ont quasiment disparu.

En janvier 2009, j’étais convié, par la Ministre de la Culture de l’époque, au dîner offert à l’industrie de la musique, au Midem à Cannes. Ce fut une séance d’auto-congratulations avec, comme invité de marque, le représentant de Deezer (mais cela aurait pu être Spotify ou d’autres), présenté comme LA solution anti-piratage.

Aujourd’hui, les uns disent que le gratuit ne fait pas un modèle économique tandis que l’autre défend son business, vendu pour partie à Orange (qui se moque bien de la rentabilité du streaming tant que se vendent des abonnements triple, quadruple, sextuple play ; tout comme ITunes sert à vendre des smartphones, et demain, SFR fera de même avec Spotify). Ces mêmes acteurs “majeurs” remettent en question ce partenariat. Quel manque de lucidité et de réflexion ! Que ne nous ont-ils pas écoutés ? Sont-ils donc idiots ? Ou est-ce plus simplement le résultat d’une politique à court terme (je prends le cash des avances et j’attends de voir) et égoïste ?
Trop de mépris, trop d’incompréhension.

En 2009, la situation des labels indépendants était grave. Elle est aujourd’hui critique et cela n’est en rien une bonne nouvelle. Pour personne. Ni pour les artistes, ni pour le public. Ni même pour les majors qui en ont besoin ! Pendant ce temps, les artistes en développement subissent et la fréquentation des concerts-découvertes est en berne. Le public, qu’on a traité de voleur, à qui on a vendu ce modèle aujourd’hui décrié, ne comprend plus rien et croit, à juste titre, qu’on veut encore une fois le berner.

On le voit bien : rien n’avance ; rien de ce qui a été essayé depuis des années ne fonctionne. Les clivages restent les mêmes. Arrêtons ces discussions à n’en plus finir qui ne servent que peu. Assez de ces conférences, débats, rencontres qui n’apportent rien. Oublions ces tribunes jetées en pâture : nous agissons tous comme un vieux couple incapable de se parler autrement que par des mots laissés au coin d’une table. Il y a trop de mépris, trop d’incompréhension, pas assez de réflexions, aucune mise en commun des ressources et des idées. Chacun continue de biner son jardin en balançant ses mauvaises herbes dans celui du voisin !

Nous avons essayé les lois, les débats tronqués, les conciliabules à deux ou trois, les missions en tout genre, les rapports poussiéreux. Cela ne marche pas ! Ce ne sont pas les pansements qui soignent les plaies. Quand la situation est grave, ce sont des États Généraux que monsieur le Ministre de la Culture devrait convoquer : avec les labels, petits ou grands, les artistes, les diffuseurs, les distributeurs, et le public, pour apprendre à se connaître mutuellement, à se respecter, pour exposer ses idées, ses problématiques, ses solutions, s’engueuler mais travailler. Travailler à construire une économie de la musique qui soit pérenne, respectueuse de chacun. En un mot : revaloriser la musique, autant économiquement qu’intellectuellement. La revaloriser ensemble, tous ensemble !