Philippe Couderc de Vicious Circle : « Cesser de mettre nos métiers de passion et d’artisans dans le même sac que les vendeurs de soupe ! »

Philippe Couderc directeur du label Vicious Circle réagit à la disparition de Makasound et à la disgrâce en cours pour les labels indépendants.

Nous ne sommes pas les majors, mais des passionnés de musique !
J’ai créé un label de disques voici 15 ans. Avec plus de 100 productions d’artistes français et étrangers, comme beaucoup d’autres je n’en vis pas, j’ai d’autres sources de revenus qui me permettent de continuer.
Continuer quoi ? A éditer les musiques que j’aime, à échanger et construire avec des artistes de tous horizons. À défendre des esthétiques que peu de radios diffusent et quasiment aucune télé mais qu’importe, j’aime la musique ! Je ne peux pas blâmer les internautes qui ont laissé sur le site de Libération des commentaires désobligeants au rebond de Romain Germa, le fondateur du label. Le fossé est énorme entre le public et l’industrie de la musique. Malheureusement, les quelques 600 labels indépendants de France n’ont pas de voix qui parle pour eux et nous sommes systématiquement mis dans le même sac que les majors. Makasound, que je ne connais que de réputation, ferme ses portes et je suis certain que ce n’est pas par manque de passion, mais tout simplement par manque d’argent. Cela fait sans doute des années qu’il se bat pour continuer. Au bout d’un temps, sans argent, on arrête car la passion ne suffit plus. Le constat que fait Makasound, je le partage. Oui le monde de la musique enregistrée est en pleine mutation ; oui on a raconté tout et n’importe quoi depuis des années et on a dévalorisé la musique. Oui on nous a fait passer pour des charlots qui volent systématiquement les artistes. La réalité, comme toute réalité, est beaucoup plus complexe que cela ; les a priori sont forts et je ne sais pas si nous pourrons un jour les faire changer.
Ce que je sais par contre, c’est que je n’ai pas à rougir du métier que je fais. J’ai encore et toujours envie d’enregistrer de la bonne musique, de travailler et partager avec des artistes. Je ne veux pas me résoudre à une uniformisation de la musique qui ne serait plus que commerciale. Car il ne faut pas s’y tromper ; ceux qui vont résister, ce sont les plus gros, les plus forts qui sont également ceux qui donnent le moins de chances aux jeunes artistes et à la musique. Je n’oublie pas que des Dionysos, ou Dominique A, pour ne citer que ceux-là, ont débuté sur des labels indépendants, tout petits, sans moyen, avec pour seule “arme” leur passion de la musique. Et c’est sans doute aussi pour cela que ces artistes ont gagné leur liberté artistique et refusent tout conformisme. La liberté de la musique, sa diversité, son inventivité viennent de la base. Mon métier consiste à aider ces artistes, à essayer de les faire connaître, à leur donner le plus de moyens possible d’enregistrer. Je m’occupe de les professionnaliser, de les faire progresser, en studio et sur scène. Producteur de disque c’est un métier, un vrai. Cela n’a rien à voir avec l’image éculée du producteur blanchi à la coke. Ce métier, ce travail a une valeur ; la musique aussi. Or aujourd’hui tout est fait pour que ces valeurs n’existent plus. Et nous ne devons pas avoir peur de dénoncer un système qui saccage cela, qui se moque des artistes, des structures et des personnes qui travaillent avec et pour eux. Quand Makasound dénonce le streaming gratuit, il ne s’attaque pas aux auditeurs, il hurle contre un système qui fait croire aux gens, aux artiste aussi que l’avenir est dans une dévalorisation de la musique. Hors, depuis 3 ans que deezer ou Spotify ont pris de l’importance, poussés par les majors au moment de la discussion d’Hadopi et mis en cause par Universal sur Rue89, cherchez l’erreur ! Les solutions d’avenir n’existent pas parce qu’une économie ne peut pas tourner avec une valeur marchande égale à 0. Ce n’est pas insulte faite au public que de le dire, c’est juste constater la réalité des faits. Et il en sera de même pour le cinéma et le livre. Peu à peu, la gratuité qu’on nous a vendue comme étant la panacée va disparaitre parce qu’elle est économiquement irréaliste. Tout simplement parce que toute chose sur cette basse terre, hormis le soleil et l’air, n’est pas et ne peut être gratuite. Qu’il y ait eu des abus ; oui et il y en a encore malheureusement. Mais de grâce, que l’on cesse de mettre nos métiers de passion et d’artisans dans le même sac que les vendeurs de soupe !

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