Pouvez-vous me détailler votre calcul concluant à 222 millions d’écoutes sur Spotify nécessaires pour financer la production d’un album ?
Même si ça fluctue en fonction des pays, un producteur reçoit en moyenne pour chaque Stream 0,00018 € par Spotify. Ceci en formule gratuite, c’est plus élevé pour la formule abonnement.
Si on considère qu’il faut investir 20 000 € en moyenne pour produire et promouvoir un album, ce qui est évidemment un chiffre arbitraire, on peut produire un album à beaucoup moins, mais c’est un chiffre assez réaliste pour un album de qualité, avec des musiciens payés selon la convention collective, un bon mix, la pochette, de la promo, etc.
En considérant que le producteur est en configuration de contrat de licence et reverse 50% des revenus à l’artiste, (cela varie en fonction des contrats), il faut donc générer 40 000 € de revenus bruts pour une part producteur de 20.000 €. Ainsi à la question, « combien faut-il de Stream d’un album pour que le producteur gagne de quoi produire le suivant ? », et sans même intégrer les frais de fonctionnement de la production, ça donne :
40 000 / 0,00018 = 222 222 222 soit 222 millions de streams !
En comparaison, il faut 81 000 titres vendus sur iTunes, soit 6 800 albums vendus, ce qui est beaucoup plus réaliste et ressemble d’ailleurs aux chiffres du physique.
Quelle est votre position sur les services de streaming ? Avez-vous un avis différent en fonction de la plate-forme ?
Au niveau de l’utilisateur c’est quasi-parfait. Pour celui qui consomme peu de musique, quoi de mieux qu’un système gratuit et illimité. Pour le public mélomane, la formule abonnement de Spotify apporte un service technologiquement très poussé, très satisfaisant. Mais c’est au niveau du producteur et de l’artiste que je suis plus circonspect. Ces services ont tellement de qualité qu’on peut penser qu’ils pourraient à terme remplacer la vente de fichiers. Et si c’est le cas, les revenus qu’ils génèrent sont tellement faibles qu’on peut se demander comment financer la production (cf question précédente).
De toutes façons, j’ai beaucoup de mal à croire en les modèles basés sur la gratuité, que ça soit pour la presse, la musique, etc. Assis sur les revenus publicitaires, où le contenu initial, qu’il soit la musique, le film, l’information, peu importe, devient rien de plus qu’un prétexte pour monétiser une audience, je n’aime pas ce biais, je ne le trouve pas très sain.
Croyez-vous que le streaming puisse déboucher sur un modèle économique viable, notamment pour les producteurs indépendants ?
Je suis sceptique. Mais pourquoi pas. Il faudrait trois choses, que les abonnements décollent – ce qui suppose que les opérateurs jouent à fond le jeu de la conversion gratuit/abonnement-, que les sommes par stream contractuellement versées aux ayants droit soient fortement revalorisées, et peut-être en plus, que les producteurs indépendants puissent valoriser l’accès à leur catalogue, en dehors du seul prix du stream.
Quel avenir prévoyez-vous pour les labels indépendants ? Quelles solutions préconisez-vous, à l’initiative des labels, mais aussi sociétales et législatives ?
Je suis favorable à une redevance culturelle, payée par les fournisseurs d’accès, ceux qui détiennent et exploitent les tuyaux et gagnent beaucoup d’argent depuis 15 ans grâce à la musique.
Pas forcément une licence légale, en tout cas ça ne remplacerait pas le paiement d’un fichier via iTunes ou l’abonnement à Spotify, mais ça serait une contribution supplémentaire à la création, un peu comme la taxe sur la photocopie. Ça pourrait être transitoire d’ailleurs, le temps que les producteurs retrouvent un peu d’oxygène.
Comment les artistes “no-formatés” pourront trouver leur public si les labels indépendants disparaissent ?
Difficilement, en faisant tout eux-mêmes, sans vrai entourage professionnel, en cherchant à construire un public à la force du poignet, ça peut toujours marcher pour quelques-uns, mais ça ressemble un peu à une régression.