La tendance du marché numérique était de construire un modèle économique autour et à partir du streaming selon un rapport de l’Observatoire de la musique de 2010. Dans les médias nombre de tribunes de professionnels de la musique ont alimenté ces derniers mois un débat resté stérile. Ainsi même en comptant sur une très hypothétique envolée des abonnements payants, les revenus générés par le streaming restent insuffisants pour financer les productions musicales. Nombre d’acteurs de l’industrie de la filière déchantent et l’éclosion d’un modèle économique viable n’est aujourd’hui pas envisageable. Alors que le flux, c’est à dire l’accès à la musique semblait promis à s’imposer, voici quelques points de repères dans le monde numérique censé mettre à mort le support physique.
Les chiffres d’audience du streaming
Le streaming audio est le mode de consommation de la musique numérique préféré des Français. Une étude Ifop/Snep sur leurs pratiques et perceptions réalisée cette année révèle que 61 % des personnes interrogées le plébiscitent, 77 % des 15-24 ans.
Des revenus insuffisants pour financer la production musicale
Chaque « stream » est payé en moyenne 0,001 euros. Si les abonnements payants s’avèrent plus profitables aux labels que l’accès gratuit payé par la publicité, leurs revenus restent insuffisants pour alimenter les flux de production sonore.
Jérôme Roger, Directeur Général de la SPPF précisait en janvier 2011 sur PCINpact que sur les 88 M€ de revenus liés au numérique en 2010, les revenus générés par le modèle publicitaire n’ont représenté que 9,8 M€ (1,8 % de leur chiffre d’affaires) et les modèles d’abonnement payant en stream 14,55 M€.
Pour mémoire, le chiffre d’affaires global de la musique enregistrée, ventes physiques (CD audio et DVD musicaux) et numériques s’élevait pour la même période à 817.4 millions d’euros en baisse de 9.6 % par rapport à 2009.
Le fondateur du label Makasound Romain Germa écrivait dans un billet pour Libération « Deezer, Spotify, Youtube et les autres… m’ont tué » que 100 000 écoutes sur un service de streaming lui ont rapporté 150 euros, à partager entre lui et les artistes.
Le modèle économique des plates-formes de streaming
Sur ElectronLibre David El Sayegh du SNEP déclarait que le streaming gratuit financé par la publicité ne peut être considéré que comme une fenêtre d’exposition.
Les Deezer, Spotify et consorts développent le freemium, un modèle économique associant une offre gratuite, en libre accès, et une offre « Premium », haut de gamme en accès payant. Néanmoins si les abonnements payants décollent pour Deezer, c’est en raison de son introduction dans le ticket global d’abonnement au FAI Orange.
Ainsi l’étude Ifop/Snep sur les modes de consommation de la musique numérique des Français révèle que 65 % des consommateurs de musiques numériques et 81 % des non consommateurs ne sont pas intéressés par un abonnement mensuel de 10 euros donnant accès à une écoute illimitée.
Toujours sur ElectronLibre Philippe Couderc, Président de la Feppia (Fédération des labels aquitains), appelle à des États généraux de la musique enregistrée sous l’égide du ministre de la Culture avec toute la filière afin de mettre en place les conditions pour un système économiquement viable.
Position FÉLIN : Le nombre d’abonnés au streaming payant devrait stagner d’ici deux ans. Jamais ce modèle à l’assise fragile ne constituera une voie pérenne et salvatrice pour la musique enregistrée.
Les demandes des éditeurs en ligne pour booster les abonnements
Axel Dauchez, président de Deezer dans une tribune publiée sur Lemonde.fr avance que nous sommes à la croisée des chemins en décidant le maintien voire l’amélioration des services en vue de lendemains qui chantent. Sinon ce modèle aura vécu et aucune offre légale rémunératrice ne viendra contrebalancer le « marché » du téléchargement illégal. Les « streamers » ne voudraient ainsi pas de la limitation du nombre de morceaux à l’écoute, que nombre de producteurs souhaitent introduire pour favoriser l’acte d’achat. Cette limite ne s’imposant en outre qu’aux acteurs français, ils arguent qu’elle les handicaperait face à leurs concurrents étrangers.
Face au tollé des maisons de disque, Spotify a restreint son offre gratuite à 5 écoutes maximales d’un même titre.
Du mouvement chez les acteurs de la musique en ligne
Une guerre Orange/Deezer opposés à SFR/Spotify aura t-elle lieu ? Depuis son ralliement à Orange, Deezer déclare 600 000 abonnés payants. Spotify en compte déjà 1 000 000 dans sept pays européens, avec une présence optimale en Norvège et Suède. L’alliance en prévision avec SFR ne pourra qu’augmenter le nombre d’abonnés. Amazon se distingue par la choix d’une technologie clouding. Baptisé Nuage, ce service permet aux utilisateurs de stocker de la musique en ligne et de l’écouter où qu’ils soient… et donc de la partager en soirée voire avec des amis.
Aux Etats Unis, Apple s’apprête à entrer dans la danse du streaming avec Itunes, par crainte d’un essor de Spotify notamment aux Etats Unis.
Bruno Boutleux et Philippe Ogouz pour l’Adami prévoient sur ElectronLibre un « raz de marée » pour Google Music lancé en mai, les TV connectées et le cloud-computing (NDLR : « informatique dans les nuages : données stockés sur les réseaux).
Sony s’invite aussi avec Music Unlimited, un service basé lui aussi sur le cloud computing et proposé par Qriocity. Il permet d’écouter des millions de chansons et de découvrir de nouveaux artistes de grandes maisons de disques et de labels indépendants du monde entier.
Position Feppia / FÉLIN :
La Félin pense que le nombre d’abonnés au streaming payant plafonnera d’ici deux ans. Ce modèle à l’assise fragile risque alors de péricliter faute de revenus suffisants.
Dévalorisation de la musique et redistribution insuffisante
La plate-forme numérique Spotify casse les prix du téléchargement numérique via la vente de crédits de téléchargement de 15 morceaux pour 12,99 €, 40 morceaux pour 30 € ou 100 morceaux pour 60 €. Soit le prix par titre respectivement à 87, 75 ou 60 centimes. Cette « promo » permanente représente un degré supplémentaire de dévalorisation de la musique. Les labels étant payés sur le CA net encaissé par le distributeur numérique (contrairement au physique basé sur un prix fixe), c’est un manque à gagner supplémentaire pour eux. Les contrats avec Spotify ne comportant pas de clause de validation du prix de vente, on constate ici l’abandon d’un levier essentiel pour la filière : la maîtrise du prix.
Quand aux services de clouding de Sony et de Google, ils se passent tout bonnement d’accords avec les maisons de disques ou les artistes. Ils représentent ainsi un nouveau modèle économique conçu par et pour eux-mêmes ! Bruno Boutleux et Philippe Ogouz de l’Adami qualifient Google sur ElectronLibre de mastodonte pour qui la musique ne sera rien d’autre qu’un produit d’appel pour vendre des téléphones Android.
Enfin Universal Music offre un an de téléchargement (un morceau par rouge, donc plaisir et offre limités!) pour l’achat d’un véhicule neuf Peugeot. La méthode Pascal Nègre pour revaloriser la musique, vœu pieu fait voici peu !
Position Feppia / FÉLIN :
La musique ne doit pas se résumer pas à une arme marketing propre à générer des abonnements de téléphonie mobile ou d’accès à l’Internet ou à vendre des voitures. Il s’avère urgent de penser un système économique viable et revalorisant pour la musique. Toute création artistique a un prix, concrétise un travail et ne se brade pas !
Le streaming et l’acte d’achat CD
Selon l’étude I étude Ifop/Snep citée plus haut, 39 % des consommateurs de musique numérique (streaming ou téléchargement légal) déclarent avoir réduit leurs achats de CD depuis qu’ils consomment de la musique numérique et 19 % ne plus en acheter du tout, soit un impact négatif total de 58 %, 68 % chez les 15-24 ans !
Pas étonnant : 87 % sont satisfaits de la qualité d’écoute…
Actions et décisions gouvernementales
Une première mission du ministère de la Culture confiée à Patrick Zelnik s’est concrétisée par la carte musique inconnue pour 59 % de Français interrogés (étude Ifop/Snep).
Le deuxième rapport rendu par la mission Hoog a accouché d’une charte des éditeurs de contenu. Ces derniers constituent alors le syndicat des éditeurs de service de musique en ligne, l’ESML, censé concrétiser leur entrée dans la filière musicale.
Après s’être prononcé pour la gestion collective des droits, le rapporteur a fait marche arrière face aux tollé des professionnels du disque et ayants droit.
Annoncé pour dans deux mois, le Centre National de la Musique semble surtout promis à satisfaire les « gros » de la profession. En outre Daniel Colling (Printemps de Bourges) et Marc Thonon (Atmosphérique, Président du Snep et membre du CA de l’UPFI), ainsi que le député UMP Frank Riester, parmi les personnalités en charge du chantier du CNM ne peuvent prétendre représenter l’ensemble de la profession.
Le tout récent Conseil national du numérique (CNN) organe consultatif et conseiller du gouvernement confirme la tendance à ne faire le bonheur que des acteurs dominants au détriment de la pluralité. On y retrouve en effet Xavier Niel d’Iliad-Free, Marc Simoncini PDG -fondateur Meetic.com, Frank Esser PDG de SFR ou encore Emmanuel Forest Directeur général adjoint de Bouygues. Ses premiers avis le confirment, positionnés contre la taxation de la publicité sur Internet et la transcription dans le droit français de la directive européenne visant notamment à favoriser la concurrence entre FAI.
Enfin dernier enjeu les territoires : chaque loi votée sur un plan national ne s’applique pas aux plates-formes à l’étranger non soumises aux mêmes règles… (Observatoire de la musique 2010)