Club FÉLIN - Parcours d'Indés : Cartelle

Rencontre avec Cartelle : un label indépendant féministe, résolument créatif et DIY

Dans un paysage musical largement dominé par les majors et marqué par de fortes inégalités de genre, Cartelle, maison de disques, trace une route singulière, engagée et généreuse.

Label DIY féministe basé à Rennes, Cartelle sort des disques (Saintes, Salut les Zikettes, Radical Kitten, Île de Garde, Concordski…), fabrique du lien, accompagne les artistes, fait émerger de nouvelles voix et organise des ateliers et des concerts où la création devient un prolongement naturel de la lutte. La maison de disques promeut les artistes féminines, transgenres et non-binaires issues des scènes indépendantes, avec une attention particulière à l’émergence locale. Cartelle, c’est une dynamique collective dans laquelle l’empowerment culturel est aussi central que la diffusion artistique. Derrière chaque disque, chaque atelier ou chaque live, un même fil rouge : ouvrir l’accès à la musique et créer un écosystème plus juste, plus inclusif, plus libre.

Cartelle, née d’une volonté d’agir

Cartelle, c’est Liza Bantegnie à Rennes et Margot Oger à Bordeaux. Le label est né d’une idée qui a germé en pleine période Covid, portée par un constat : la place des femmes et des minorités de genre reste largement insuffisante dans le secteur musical. Liza, instrumentiste-chanteuse, et Margot, batteuse, bassiste et claviériste, s’interrogent et glanent alors des statistiques auprès de HF+ Bretagne qui en réalise un état des lieux récurrent.

 

En épluchant les chiffres, le constat est sans appel : sur scène, en studio, en technique ou à la tête des labels, les femmes et minorités de genre peinent à dépasser les 20 % de représentation — et encore, dans la réalité, c’est souvent moins. 

 

Confinées, avec du temps et l’envie de bouger les choses, elles ont rassemblé douze artistes qu’elles adoraient. Face à l’absence de labels féminins ou alliés pour soutenir cette compilation, elles ont fait un choix déterminé : créer leur propre label. Cartelle est ainsi né d’une volonté d’action concrète, de quelque chose de très pragmatique, d’un refus de rester spectatrices dans un paysage musical qui ne leur ressemble pas. Sortie en 2021, la compilation “Cartelle Vol.1 “ marque les premiers pas de l’aventure Cartelle ! 

En octobre 2025, Liza et Margot sortiront leur 10ème disque.

L'indépendance comme moteur

“Jamais s’interdire de faire”

Pour Liza, l’indépendance n’est pas un choix stratégique, c’est une culture, un réflexe. Nourries par un héritage DIY venu du punk, Liza et Margot avancent sans attendre de validation. Faire, apprendre, partager : c’est ce qui les guide. Et en tissant des liens avec d’autres structures locales ou associatives, elles confirment ce que l’indépendance permet de plus précieux : l’entraide, la souplesse et la liberté. Liza cite d’ailleurs volontiers des structures auprès desquelles elle a pu glaner des conseils, comme Teenage Menopause à Paris, Vlad et Crème Brûlée à Rennes et Yotanka à Nantes. “La force du réseau Indé”.

L’indépendance a ses vertus, mais elle a aussi son prix. Être un label indé, c’est jongler avec des petits budgets, apprendre à naviguer dans le monde des financements, comprendre les rouages administratifs de l’économie musicale et de la commercialisation… Chaque étape est un apprentissage, notamment sur l’importance de bien choisir ses partenaires ainsi que l’impossibilité de prévoir l’imprévisible. 

Liza se rappelle notamment qu’au démarrage, elles  avaient minutieusement planifié la sortie de leur première compilation aux Transmusicales. Mais les délais de pressage vinyle ont été bien plus longs que prévu… Avec 4 mois de retard, impossible de tenir les délais et de livrer le disque à temps pour le festival. Une vraie épreuve pour l’équipe, qui avait misé gros sur cet événement. 

Un catalogue à l’ADN fort et à l’esprit DIY

Chez Cartelle, l’intuition et les valeurs priment sur les stratégies figées. “Notre point d’entrée, c’est clair : on met en avant des artistes féminines ou issues de minorités de genre. C’est l’essence même du label”, explique Liza.

Au-delà de cette ligne artistique engagée, la sélection se fait aussi au ressenti. La sensibilité musicale compte, bien sûr, mais l’humain prend une place croissante dans le processus. “On aime rencontrer les artistes, discuter, prendre le temps. C’est quelque chose qu’on valorise de plus en plus”. 

Rennes, Nantes, Toulouse, Marseille, Lyon… la carte des artistes Cartelle couvre aujourd’hui une large partie du territoire. “Ce n’est pas un critère fermé, mais on a eu envie, dès le départ, de valoriser la scène locale. Il y a déjà tellement de talents autour de nous.”

Le dialogue est aussi central dans la prise de décision. “On échange sur chaque projet, on veut être d’accord toutes les deux. Et souvent, on l’est naturellement.” La même exigence s’applique dans la relation avec les artistes, qui sont pleinement intégrés au processus.

Quant à l’avenir, rien n’est figé : “On reste ouvertes à accueillir de nouveaux projets, en fonction de nos envies, des rencontres… et aussi de nos moyens !”, souligne Liza. 

Concordski : du crush musical à la signature

Parmi les sorties marquantes de ce début d’année 2025, l’EP Concordski – distribué par Modulor – occupe une place particulière. Eugénie – alias Concordski – développe une synth-pop chantée en français, riche en récits et en textures électroniques. « Un maximum de synthétiseurs, sur disque comme sur scène », sourit Liza, qui se souvient de cette rencontre d’abord à distance.

« Je ne la connaissais pas du tout avant. Je l’ai découverte à l’écoute. Ce n’était pas un live, c’était vraiment une rencontre audio ». Le titre Intercité, sorti sur le label parisien Entre-Soi, l’accroche immédiatement. « Je pense que j’ai découvert ce morceau-là grâce à ce label que je suis de près. Il est très DIY, très collectif, avec une vraie ligne artistique que j’aime beaucoup. Et puis je crois qu’elle avait aussi été chroniquée dans Section 26, un média indé que je lis régulièrement. »

La connexion artistique devient rapidement personnelle. « Après, on s’est rencontrées. Elle est basée à Caen mais vient souvent à Rennes. Il y a eu un coup de cœur amical aussi. Ça a été une évidence de sortir son deuxième EP. »

Le disque voit le jour en coproduction avec We Want 2 Record et Sylvebarbe, également de Caen. « C’est une coprod’ qui s’est faite tout naturellement, dans la douceur, le rire, l’envie. C’était très fluide. » Résultat : un EP de six titres, salué pour sa singularité et son identité affirmée.

Et l’aventure ne s’arrête pas là. Les deux artistes poursuivent aujourd’hui leur collaboration sur scène. Pour elle, cette histoire incarne pleinement ce que signifie faire un label aujourd’hui : « Ce que je trouve vraiment beau dans ce métier, ce sont les rencontres. Et avec Eugénie, ça en a été une très chouette. »

« Salut les Zikettes! » : une compilation née des ateliers, un développement DIY

Salut les Zikettes ! Vol1. ▶️

Parmi les projets les plus marquants portés par le label Cartelle, la compilation « Salut les Zikettes! vol.1 » incarne un engagement profond en faveur de l’empowerment musical des femmes, personnes transgenres et non-binaires. Sortie début 2025 en double vinyle et en digital, cette compilation regroupe 28 artistes passés par des ateliers d’initiation à la musique organisés à Rennes et à Pantin en collaboration avec l’association Salut les Zikettes. Ces ateliers ont permis à plus de 200 participant.es de se lancer dans la pratique musicale, souvent en créant leur premier groupe.

L’idée de la compilation est venue naturellement : « À force de voir des groupes émerger des ateliers, on s’est dit qu’il fallait garder une trace, leur offrir une visibilité. » Cartelle et Salut les Zikettes réunies ont assuré l’enregistrement, le mixage et le mastering de tous les morceaux — un processus entièrement géré en interne et dans un esprit DIY. « On a tout fait de A à Z, avec l’aide du studio Miracle à Rennes, qui nous a gracieusement ouvert ses portes. » Le projet se vend principalement en direct lors de concerts ou de salons. « Le vinyle est à 30 euros, et on ne peut pas baisser le prix pour les disquaires. » La communication repose sur les réseaux sociaux, gérés bénévolement, sans attaché.e de presse.

Mais la vraie force de diffusion vient du collectif : « Avec 28 groupes impliqués, chacun·e participe à relayer le projet. Ça démultiplie la visibilité. » Résultat : « Salut les Zikettes! » rayonne bien au-delà de Rennes, avec des artistes venus de Paris, mais aussi de nombreuses autres villes en France. Des concerts ont ainsi été organisés à Paris et Rennes, avec des artistes issu.es de la compil’. « Certain.e.s jouent pour la première fois de leur vie. C’est fort de les voir passer du studio à la scène en quelques mois. »

Cartelle défend son modèle basé sur la coproduction, plus souple et moins risqué financièrement. « On aime collaborer avec d’autres labels ou collectifs. Cela permet aux artistes d’élargir leur audience, de croiser les scènes. ». Chacun.e doit être clair.e sur ses rôles : « Parfois, ce sont même les artistes qui assurent eux-mêmes la coordination. » En filigrane, c’est une initiative politique et collective, ancrée dans un désir de transmission, d’ouverture et de sororité. « On ne cherche pas à devenir un gros label. Ce qui nous importe, c’est de faire exister des projets sincères, avec nos valeurs. »

Cartelle et la FÉLIN : professionnaliser les pratiques

Professionnaliser certaines démarches, tout en restant fidèle à son ADN DIY : c’est dans cette optique que le label a choisi de rejoindre la FÉLIN. « On savait que la FÉLIN pouvait être une vraie ressource sur des questions très concrètes, comme les modèles de contrats ou le cadre légal. Et ça, on en avait besoin », explique Liza. La rencontre entre Margot Oger et l’équipe, alors qu’elles partageaient les mêmes locaux, a facilité la démarche, mais c’est surtout l’intérêt pour le réseau, les échanges entre pairs et les dispositifs comme les Cafés labels qui ont convaincu Cartelle.

Liza, aujourd’hui élue au Conseil d’Administration de la fédération, s’y est présentée comme par suite logique : « On trouve important qu’un label comme le nôtre, très indé et très DIY, puisse porter sa voix au sein de la fédération donc je me suis présentée ». Cartelle y entend défendre des valeurs d’égalité et de parité. « Aujourd’hui, en tant que femmes, on pense qu’il est essentiel de faire entendre cette voix. »

Une volonté partagée par la FÉLIN qui a inscrit la parité dans ses statuts.

Playlist - Cartelle dans les oreilles

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